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Chambéry - Avenue Desfrançois


Le projet d’aménagement urbain « Les Portes de Mérande », dans le quartier Nézin à Chambéry, a entraîné la réalisation d’une opération de diagnostic archéologique menée en mai 2019 sous la direction d’Antoine Valois (Inrap). Les résultats de ces sondages d’évaluation ont motivé la prescription d’une fouille préventive sur une emprise de 1400 m² comprise entre l’avenue Docteur Desfrançois au nord, le faubourg Nézin à l’ouest et le chemin de fer au sud.
L’opération préventive s’est déroulée du 11 mai au 21 juillet 2020. Située au pied des premiers contreforts de la colline de Lémenc, l’emprise s’inscrit dans un cadre particulier. C’est en effet dans ce secteur qu’ont été faites, au cours des XIXe et XXe siècles, la plupart des découvertes d’artefacts antiques du bassin chambérien. Aucun aménagement structuré n’avait toutefois été découvert jusqu’alors, et l’emplacement exact de l’antique Lemincum, mentionné sur la table de Peutinger et l’itinéraire d’Antonin, demeurait inconnu.
Les plus anciens indices de fréquentation mis au jour sur le site sont particulièrement ténus. Ils sont matérialisés par un paléosol fortement arasé qui a livré quelques tessons de céramique modelée, associés à de nombreux charbons de bois. Une datation au radiocarbone a permis de situer cette première fréquentation à la transition entre le premier et le second âge du Fer ou au début du second âge du Fer (518-382 cal. BC, avec une probabilité de 94,2 %). Aucune structure contemporaine n’a toutefois été identifiée sur l’emprise de l’opération.
Les premiers vestiges structurés apparaissent à la fin du Ier s. av. J.-C. L’installation s’organise en effet, dès le début de l’époque augustéenne, aux abords d’un carrefour viaire constitué d’une voie orientée ouest-sud-ouest/est-nord-est, et d’une seconde voie se développant vers le nord, partiellement observée en limite d’emprise (fig. a). Les vestiges d’époque julio-claudienne, particulièrement mal conservés, ont été fortement impactés par les aménagements postérieurs et demeurent de ce fait largement lacunaires. Seuls subsistent quelques tronçons de fondations attestant l’existence de plusieurs bâtiments. Le mieux conservé présente un plan rectangulaire d’environ 75 m² et accueil un foyer au sein duquel ont été mis en évidence des déchets métallurgiques témoignant de la pratique d’une activité sidérurgique. Une série conséquente d’étiquettes inscrites en plomb (17 individus ; fig. c), réparties sur l’ensemble du site, suggère par ailleurs la pratique d’une activité commerciale et/ou artisanale liée au travail du textile (étude et traduction en cours) dès l’époque augustéenne.
À partir du milieu du Ier s., un vaste bâtiment à portique est implanté à l’angle des voies de communication (fig. b). Moyennant d’importantes restructurations, son usage perdurera tout au long de l’Antiquité. Partiellement observé sur l’emprise de l’opération, cet édifice semble appartenir à un plus grand ensemble qui pourrait correspondre à un îlot dont les façades sont alignées sur les rues au sud et à l’est. Son espace interne, régulièrement curé et surélevé par des apports de remblais en lien direct avec le rehaussement progressif des espaces de circulation attenants, n’a livré que très peu d’indices d’aménagement. Au sud de la voie, l’existence d’un autre bâtiment dont les matériaux ont été intégralement spoliés n’est attestée que par quelques tronçons de tranchées de récupération. La voie séparant les deux bâtiments est alors dotée de fossés bordiers, et un trottoir est aménagé le long des façades du bâtiment à portique. Dans l’angle sud-ouest du terrain, des niveaux charbonneux riches en déchets métallurgiques témoignent de la proximité immédiate d’une activité polymétallurgique (travail du fer, des alliages cuivreux et du plomb) dont aucune structure n’a toutefois été identifiée sur l’emprise de l’opération.
À partir du milieu du IIIe s., l’édifice implanté au nord de la voie subit d’importantes modifications. L’adjonction de murs de façades au nord et à l’ouest ferme le bâtiment dont le plan forme un parallélogramme d’environ 220 m². Une série de murs de refend cloisonne alors l’espace interne. L’occupation de l’édifice, tout comme l’usage et l’entretien des espaces de circulation attenants, se poursuit tout au long de l’Antiquité tardive, jusqu’au Ve s. au moins. Parmi les aménagements internes partiellement conservés figurent une douzaine de fosses de formes et de dimensions variées, quelques rares bases lapidaires, un foyer et une vaste excavation implantée dans la partie occidentale de l’ensemble. La mise en place de deux imposants caniveaux de part et d’autre du bâtiment permet, par ailleurs, l’assainissement de l’espace en assurant l’évacuation des eaux pluviales et/ou usées vers le sud. La ou les fonction(s) exacte(s) du bâtiment demeure(nt) difficile(s) à établir. Il semble toutefois probable qu’à sa fonction résidentielle s’ajoute une vocation artisanale et/ou commerciale dont quelques rares indices mobiliers pourraient constituer les ultimes témoins. L’intense arasement de la partie supérieure de la stratigraphie lors des récents travaux de nivellements a entraîné la disparition des niveaux d’abandon. Notons néanmoins la découverte, au sein des derniers niveaux conservés du bâtiment, d’un dépôt monétaire constitué de 440 nummi de l’extrême fin du IVe s. (terminus post quem 393).
À partir de la fin de l’Antiquité tardive ou du début du haut Moyen Âge (vraisemblablement dans le courant du Ve s.), le site semble définitivement abandonné. L’époque médiévale n’est représentée que de manière très anecdotique par une sépulture isolée mise au jour en limite orientale de l’emprise. Une datation au radiocarbone a permis de dater cette inhumation de la fin du haut Moyen Âge (881-995 cal. AD, avec une probabilité de 95 %).
Il faudra attendre l’époque moderne et la seconde moitié du XVIe s. pour que le site, alors implanté en périphérie de la « cité des Ducs de Savoie », soit de nouveau occupé. Le développement du faubourg Nézin laisse, en effet, les vestiges des fondations d’îlots d’habitation dans la partie occidentale de l’emprise. Ces derniers seront occupés jusqu’à ces dernières décennies, où la totalité des bâtiments présents a été démolie.
L’opération préventive de « l’avenue Docteur Desfrançois » a permis, pour la première fois, de localiser l’occupation gallo-romaine implantée au pied du versant méridional de la colline de Lémenc et d’ouvrir une fenêtre exiguë sur ce qui correspond très vraisemblablement à un quartier de l’antique Lemincum. Les données recueillies nous apportent des informations inédites, et d’un intérêt majeur pour notre connaissance de l’occupation du secteur depuis l’époque augustéenne jusqu’à la fin de l’Antiquité. La position du site sur un axe de communication majeur, et à proximité de ressources naturelles qui ont fait la renommée du secteur alpin au cours de l’Antiquité, a sans aucun doute contribué à sa prospérité en favorisant l’émergence d’activités artisanales, et probablement commerciales, dont quelques témoins nous sont parvenus.


Revue de presse :


Bibliographie scientifique :

  • DUCREUX A., HOËT VAN CAUWENBERGHE C., « Noir corbeau : étiquettes en plomb de Chambéry et activité textile à Lemencum », Actes du colloque Emballages et étiquettes des marchandises dans l’Occident romain, Poitiers, 8-9 juin 2022, à paraître.


Commune : Chambéry

Adresse/lieu-dit : Avenue Desfrançois

Département/Canton : Savoie

Année de fouille : 2020

Période principale d'occupation : Antiquité

Autres périodes représentées : Moyen Âge,Période moderne

Responsable d'opération : Julien COLLOMBET

Aménageur : Cogedim

Raison de l'intervention : Construction de logements

Type de chantier : Sédimentaire (Fouille préventive)


Dossier de presse