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Morrens/Etagnières - Le Buy, Les Ripes


Des fouilles à Morrens et Etagnières

Le dégagement des vestiges de la villa du Buy et la découverte d’un atelier de forge inédit, d’époque romaine, se sont déroulés dans le cadre de la création d’un axe d’évitement de la commune de Cheseaux (VD).

LA VILLA ROMAINE DE MORRENS-LE-BUY
C’est entre Cheseaux et Morrens, au lieu-dit Le Buy, sur un petit plateau allongé, que se trouvent les vestiges d’une imposante villa du IIe siècle de notre ère. Les fondations sont implantées en tranchée étroite dans le remblai, parfois jusqu’au terrain naturel. Celui-ci est constitué d’un substrat morainique argileux peu perméable. Le site est irrigué par deux sources, alors que le bas de la pente, anciennement occupé par un lit de rivière, est marécageux. Les descriptions anciennes de ces vestiges, connus de longue date et fortement ruinés au cours des dernières décennies, mentionnent l’existence d’une mosaïque, de fragments architecturaux ainsi que de nombreux murs.

Le plan publié en 1898 est uniquement celui des constructions détruites au cours des années précédentes. Quoique sommaire et mal recalé topographiquement, ce plan est néanmoins précieux et permet de discerner l’organisation de la pars urbana de la villa. Le matériel céramique issu des « fouilles » anciennes situe l’occupation du site dans le courant des trois premiers siècles de notre ère ; les quelques vestiges de peintures murales remontent au milieu du IIe siècle apr. J.-C., alors que la datation de la mosaïque se situe entre 175 et 225 apr. J.-C.

Les premières fouilles officielles furent celles de 1998. Si cette rapide exploration a permis de compléter les données de 1898, elle a surtout mis en évidence l’ampleur des travaux de récupération des siècles précédents. Les vestiges dégagés étaient fortement arasés et il n’en subsistait au mieux que quelques assises de fondations, voire, dans la plupart des cas, uniquement les tranchées de récupération des murs. La stratégie de fouille se limita ainsi à une intervention rapide, mécanique principalement, visant à suivre le tracé des murs. Toutefois, deux bâtiments successifs ainsi que plusieurs aménagements hydrauliques ont été reconnus. Le premier bâtiment, de plan rectangulaire, orienté est-ouest et d’une largeur de 11 m sur une longueur minimale de 21 m où trois locaux peuvent être identifiés, a été construit dans le courant du Ier siècle. Le second, avec une orientation légèrement différente, est constitué d’une première aile de plan rectangulaire, allongé d’est en ouest, d’une largeur de 12 m sur une longueur de 54,5 m.Trois espaces au moins peuvent y être définis. Il est daté du siècle suivant.

L’établissement se situait sans doute au cœur d’un domaine agricole dont l’extension nous échappe. Tout au plus constatons-nous, ça et là, des substructions pouvant s’apparenter à un mur d’enclos. Le ruisseau, situé à une quarantaine de mètres des constructions, en aval, pourrait limiter le domaine à l’ouest. L’atelier de forge, situé à 300 m au nord-ouest, fait peut-être partie du domaine. Ni l’étude du parcellaire moderne, ni la toponymie n’ont permis de dépasser le stade des hypothèses quant à la répartition et l’affectation des diverses parcelles.

L’ATELIER DE FORGE D’ÉTAGNIÈRES-LES-RIPES
Le site, inconnu, a été identifié grâce à la présence d’une étendue de scories, observée sur plus de 75 m. Les opérations se sont déroulées sur une surface d’environ 600 m2. On ne peut donc affirmer que le site a été fouillé dans son intégralité. Cependant, le bâtiment maçonné abritant une partie des structures de l’atelier était entièrement inscrit dans ce périmètre. L’atelier maçonné est situé à 300 m au nord de la villa du Buy, sur un terrain probablement peu propice à l’agriculture, débarrassé de son humus et recouvert par endroits d’un remblai compensant partiellement la pente ; il dut offrir un site convenable, occupé pendant trois quarts de siècle environ, entre la fin du IIe et le début du IIIe siècle. Il était probablement proche de la route de Lausanne-Yverdon, au tracé incertain ; cela facilitait l’approvisionnement et la distribution de la production. L’atelier comporte un bâtiment maçonné de plan carré (12,2 x 13 m), muni de quatre contreforts sur la façade ouest. Les rares vestiges de mur sont faits de moellons de calcaire, taillés sur une face et présentent une largeur d’un mètre. Hormis les problèmes récurrents liés à la nappe aquifère, on n’explique pas une telle puissance pour des fondations, si ce n’est par la hauteur potentielle du bâtiment. Cette remarque et les résultats de l’analyse du mobilier mettant en évidence de la vaisselle de cuisine et des fibules féminines, poussent à envisager l’existence d’un habitat conjoint à l’atelier, sous le même toit, avec un étage supérieur consacré à l’habitat. Aucun reste de cloisonnement n’a été retrouvé, mais l’hypothèse reste parfaitement plausible.

La surface à disposition (100 m2) relativement grande pour le type d’activités constatées et la présence d’un foyer de tegulae, à fonction plutôt domestique, renforcent cette interprétation. De tels aménagements mixtes peuvent être justifiés par la présence requise de plusieurs personnes nécessaires au bon fonctionnement des installations. Le forgeron gallo-romain, même s’il peut se débrouiller seul, travaille plus à l’aise avec des aides, comme le prouvent nombre de représentations antiques.

À l’intérieur de l’atelier devaient se dérouler les opérations de finition (martelage et façonnage), alors que celles d’affinage (ou épuration) étaient exécutées à l’extérieur. Deux forges principales ont été reconnues. La première est située à l’avant de l’atelier maçonné, appuyée contre le mur ouest. De forme quadrangulaire (80 x 100 cm), elle est constituée d’un simple amas de scories et de fragments d’argile rubéfiée, dissimulé sous une couche de cailloux dont la fonction reste indéterminée. Le foyer proprement dit est délimité latéralement par un cordon d’argile rubéfiée. Ces « parois » mesurent environ 10 cm d’épaisseur. À l’intérieur, on distingue un comblement nettement cendreux et charbonneux ainsi que quelques scories et fragments de cailloux éclatés. À l’arrière, des cailloux disposés à l’intérieur d’une surface quadrangulaire portent des marques de rubéfaction ; on peut y voir le support d’un système de ventilation ou une surface de pose. La vision en coupe montre une superposition de niveaux correspondant aux différentes réfections du foyer.

Les liens de cette forge avec le bâtiment ne sont pas clairement définis, mais cette dernière ne paraît pas postérieure à la destruction du bâtiment carré et ne peut guère être antérieure. Adossée à l’atelier et protégée par un appentis soutenu par des poteaux (?), elle devait être en connexion avec les activités intérieures par une porte. Toutefois, aucune trace d’ouverture n’a été repérée sur le pourtour de la construction.

La seconde forge se présente sous la forme d’une petite fosse ovale (30 x 65 cm) implantée directement dans le terrain naturel. Les parois verticales présentent des traces de rubéfaction ; en surface, des cailloux semblent avoir complété l’ensemble. Le comblement comporte beaucoup de charbon et une seule scorie. Le fond plat est tapissé de charbon. D’autres fosses ont été mises au jour à l’intérieur du local quadrangulaire ; si certaines d’entre elles sont clairement des foyers, d’autres ont pu servir de support d’enclume. Un fond d’amphore tronqué, disposé à proximité de la forge 2, a été identifié comme un bac de trempage. Un intéressant système de drainage à deux canalisations prenant leur origine sous des foyers a été mis au jour. Leur disposition particulière n’a pas trouvé d’explication satisfaisante. La production a été analysée (voir l’étude de S. Perret réalisée dans le cadre d’un diplôme de fin d’études, disponible à l’adresse : http://www.zoyd.info/people/sp/index.php?chap=pub.

Les résultats  indiquent que le travail accompli sur le site d’Etagnières se résume principalement au forgeage. Le gros de la production était probablement essentiellement constitué de l’outillage agricole lié à l’exploitation de la villa du Buy ; une part importante du travail étant ensuite allouée à l’entretien de ces outils. D’occasionnels travaux d’épuration ne sont pas exclus mais difficiles à prouver sans analyses approfondies. De plus, les foyers et les principaux outils étant les mêmes, la distinction entre les différentes tâches exécutées sur une forge reste complexe. Un certain nombre d’activités annexes nécessaires au bon fonctionnement des forges devait prendre place dans un proche environnement. Ces activités vont de la confection de meules de charbonnage au creusement de fosse d’extraction d’argile, en passant par l’évacuation des déchets qui devaient être nombreux. Autant d’occupations qui auraient dû laisser des traces dans le sol mais que nous n’avons pas trouvées, hormis les amas de scories.

La relative simplicité de la stratigraphie sur le site d’Etagnières et l’uniformité du mobilier archéologique laissent supposer une activité des forges sans interruption du dernier quart du Ier au milieu du IIIe siècle. Il n’a pas été possible de distinguer plusieurs phases d’occupation, même si les forges ont sans doute fait l’objet d’améliorations et de transformations au cours du temps.

L’abandon de l’atelier (pas avant le milieu du IIIe siècle) ne paraît pas avoir été brutal, aucun objet « de valeur » n’ayant été découvert sur les lieux. Si des motifs techniques ou plus directement pratiques peuvent être invoqués pour expliquer l’abandon, celui-ci est sans doute simplement lié à la désaffectation de la villa.


Quelques images du site :


Restitution du plan de la villa au Ier et au IIe siècle

Plan de l'atelier et des structures

La Forge 1 des Ripes

Coupe restituée de la forge 1 et du drain sous-jacent.

Forge 2 des Ripes


Commune : Morrens/Etagnières

Adresse/lieu-dit : Le Buy, Les Ripes

Département/Canton : Vaud

Année de fouille : 1998-1999

Période principale d'occupation : Antiquité

Responsable d'opération : François ESCHBACH

Raison de l'intervention : Aménagement routier

Type de chantier : Sédimentaire (Fouille préventive)