Un vaisseau de pierre, de bois et de métal

Un vaisseau de pierre, de bois et de métal

Enquête archéologique dans le transept de Notre-Dame de Chartres

En 2021, la DRAC Centre-Val de Loire, via la Conservation régionale des monuments historiques, a lancé un vaste chantier de restauration du transept de la cathédrale Notre-Dame de Chartres, sous la maîtrise d’œuvre de l’ACMH1 Marie-Suzanne de Ponthaud. Durant 20 semaines réparties tout au long des travaux, les archéologues d’Archeodunum ont mené des investigations pour décrypter les secrets du chantier de construction du transept, et remonter ainsi le temps jusqu’au début du XIIIe siècle (fig. 1)

Fig.1 : À 30 m de haut, étude du bras nord du transept avant sa restauration.
Fig. 2 : Plan de la cathédrale de Chartres avec le transept en orange, d’après B. Kurmann-Schwarz et P. Kurmann, Chartres. La cathédrale, 2001, p. 28.

Une architecture de pierre et de chaux

L’étude a porté sur les deux bras du transept, dont chacun est organisé en trois travées qui culminent à 33 mètres de hauteur sous voûte (fig. 2). Les archéologues se sont intéressées aux natures géologiques des pierres, confirmant le recours à trois types de calcaire qui avaient déjà été identifiés dans la nef de la cathédrale : pierre de Berchères, calcaire lutécien et calcaire crayeux. Ces matériaux, choisis pour leur disponibilité et leurs qualités constructives, sont  assemblés à l’aide de mortier de chaux.

Deux recettes principales de mortier ont été identifiées : l’une à base de sable orange, donnant une teinte beige-orangé, l’autre plus blanche avec un granulat sablo-gravillonneux. L’identification de ces variations apporte un éclairage nouveau sur l’organisation du chantier médiéval. De même, à travers l’analyse des assises et des découpes des pierres, les archéologues ont mis en lumière les techniques adoptées par les bâtisseurs pour s’adapter aux contraintes liées aux échafaudages et à l’approvisionnement du chantier (fig. 3).

Fig. 3 : Intérieur du transept sud, relevé archéologique d’une partie du mur sud.
Fig. 4 : Tirants en bois dans la voûte près de la croisée du transept (sud).

Le bois, élément de stabilité et pourvoyeur de datations

Les archéologues ont examiné de puissants tirants en chêne pris dans les voûtes des travées situées contre la croisée (fig. 4). Ces imposantes pièces de bois servent à assurer la stabilité des voûtes. L’étude archéologique a montré qu’elles ont été prévues et installées dès la  construction. C’est une information inédite, puisqu’on pensait jusque-là que ces tirants étaient venus consolider l’ouvrage dans un second temps. L’analyse dendrochronologique a daté  l’abattage de ces bois entre 1210 et 1237, confirmant leur appartenance au chantier d’origine. Cela éclaire le rôle fondamental du bois dans l’édification de la cathédrale.

Le métal, un renfort invisible mais essentiel

L’étude des maçonneries a révélé l’usage discret, mais omniprésent, du métal. Des tiges et agrafes en fer, scellées au plomb, assurent la cohésion des colonnes, des garde-corps et des remplages. En plus de ces éléments constructifs, de nombreuses réparations employant du métal ont été réalisées pendant le chantier, indiquant que des pierres ayant été cassées sont tout de même utilisées dans les murs (fig. 5). Cette particularité témoigne de la rapidité du chantier de construction du transept. Par ailleurs, le métal était aussi fiché dans les murs pour accrocher le mobilier liturgique ou, tout en haut des murs, pour fixer des protections temporaires devant les vitraux (fig. 6a et 6b).

Fig. 5 : Réparation d’un chapiteau à l’aide d’une pièce métallique.
Fig. 6A : Rose entourée de petits crochets métalliques.
Fig. 6B : Rose entourée de petits crochets métalliques, détail d’un crochet.

Des décors peints, touche finale du chantier

Les analyses des enduits révèlent l’ampleur du chantier de mise en décor qui a marqué l’achèvement du transept de la cathédrale, rapidement après le début de sa construction au XIIIe siècle. Chaque bras du transept était recouvert d’un enduit beige agrémenté d’un décor de faux-appareil peint en blanc (fig. 7). Moins d’un siècle plus tard, un nouveau motif de faux-appareil, cette fois sur fond rose-orangé, a recouvert le premier, tandis que les clefs de voûte recevaient un décor héraldique (fig. 8 et 9). Ce dernier n’a jamais été masqué, malgré les badigeons appliqués aux XVIIIe et XIXe siècles.

Fig. 7 : Décor de faux-appareil tracé en blanc sur le mortier beige.
Fig. 8 : Décor polychrome héraldique de fleur de lys dorée sur une clef de voûte
Fig. 9 : Étude d’une clef de voûte ornée de motifs héraldiques. La voûte et son décor de faux-appareil sont restaurés.

Un pan de l’histoire dévoilé

Grâce à ces investigations, le chantier de construction et de mise en décor du transept de Notre-Dame de Chartres se révèle avec une précision inédite. Ces découvertes permettent non seulement de mieux comprendre les techniques médiévales, mais aussi d’accompagner la restauration actuelle en mettant en valeur les savoir-faire des bâtisseurs d’autrefois.

Opération d’archéologie préventive conduite de 2022 à 2025, en parallèle à la restauration des parements intérieurs du transept de la cathédrale Notre-Dame de Chartres.

Prescription et contrôle scientifique : Conservation régionale des monuments historiques ; Service régional de l’archéologie

Maîtrise d’ouvrage : DRAC Centre-Val de Loire

Opérateur archéologique : Archeodunum

Responsable : Camille COLLOMB

Équipe de terrain

  • Camille Collomb (RO)*
  • Alice Borel
  • Emilien Bouticourt
  • Jean-Baptiste Kowalski
  • Margaux Lainé
  • Mylèna Wasylyszyn
    * Terrain et Post-Fouille

Intervenants extérieurs

  • Christophe Perrault (C.E.D.R.E.)
  • Olivier Veissière (Patrimoine Numérique).